Le Crowdfunding, arnaque ou révolution ?

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Corcuff

 

 

 

 

 

 

 

Boule à Z, idées à gauche (après le PS, les Verts et la LCR-NPA, il a rejoint la Fédération anarchiste) et plume bien trempée (lire son dernier essai «La gauche est-elle en état de mort cérébrale ?» et son roman noir à venir «Les fils noirs de l’existence humaine»), Philippe Corcuff aurait pu tenir le mic’ dans un groupe keupon. Il a préféré penser. Et plutôt bien. On en profite pour parler crowdfunding, My Major Company, Fleur Pellerin et «Guépard».

 My Major Company se retrouve dans une tourmente: quelques dizaines de coproducteurs accusent la boîte de financement participatif de leur avoir vendu du rêve en leur faisant miroiter des réussites à la Grégoire ou Joyce Jonathan alors qu’il s’agit avant tout de business et que comme dans tout business, il y a des réussites mais aussi de cruels échecs. Votre avis sur cet imbroglio ?

Philippe Corcuff : My Major Company incarne bien la tendance dominante, mais aussi les contradictions du crowdfunding. Comme l’ensemble des réalités sociales, le crowdfunding en général et My Major Company en particulier ne peuvent pas être vus de manière essentialiste comme des entités homogènes, que cela soit négatif (« c’est de la merde au service du Système », version archéo-marxiste manichéenne) ou positif (« C’est génialement nouveau », version bobos de droite ou de gauche à neurones limités). La grande pensée critique, que cela soit Marx ou l’anar Proudhon, s’évertue aussi d’appréhender les contradictions des phénomènes, ce qui ne veut pas dire qu’ils ne sont pas travaillés par des logiques dominantes, mais en tout cas pas exclusives. La pente dominante du crowdfunding est ici de participer à un élargissement de la marchandisation des activités humaines et du monde, en augmentant les réseaux de collecte des capitaux via Internet, donc en s’adaptant à Internet et en conquérant de nouveaux publics. Mais, au bout du compte, on participe à l’extension de formes susceptibles de produire du profit. On est au coeur de cette dynamique illimitée d’accumulation de capital que Marx appelle le capitalisme. Mais ce phénomène révèle aussi des contradictions. Il peut aider à faire émerger des formes culturelles et artistiques novatrices, qui auraient été marginalisées par les modes classiques de financement. Avec des formes de micro-crédit solidaire ou la stimulation de logiques de dons et de contre-dons, il peut aussi permettre de faire exister des projets alternatifs, aux marges du capitalisme, voire parfois à tonalités anticapitalistes.

La ministre Fleur Pellerin veut développer le crowdfunding en France pour l’appliquer au monde de l’entreprise. La bonne idée que voilà ?

Si l’on s’en tient aux annonces pour l’instant générales et floues de la ministre, c’est surtout un stimulant pour l’économie capitaliste qu’elle propose. Ce qui est cohérent avec la ligne sociale-libérale de la gauche hollandaise : plonger dans la réorganisation néolibérale du capitalisme, mais un peut moins vite, avec quelques petits taquets sociaux et légaux en plus, que la droite sarkozyste. C’est le « un peu moins vite » qui caractérise le social-libéralisme de gauche par rapport au néo-libéralisme de droite. Il ne semble pas alors qu’il s’agisse, chez Fleur Pellerin, de privilégier par le crowdfunding les formes alternatives par rapport au secteur capitaliste classique. C’est dommage. Non pas que cela puisse révolutionner le capitalisme, mais la multiplication des grains de sable et l’extension de zones un peu à l’abri du monde marchand participent aujourd’hui des combats multiformes pour un monde meilleur.

Avec l’apparition puis le succès du crowdfunding, on a l’impression qu’on est en train de vivre un basculement économique. Est-il réel ou n’est-ce qu’un nouveau système bancaire déguisé ?
Il faut faire attention aux discours médiatiques surévaluant sans arrêt « le nouveau », « le basculement », « la rupture », etc. Cela fait partie des automatismes professionnels des journalistes, en tant qu’une des professions (avec les professionnels de la politique, les conseillers en communication, les sondagiers ou les publicitaires) la plus affectée par ce que l’historien François Hartog appelle « le présentisme », c’est-à-dire une course illimitée et au final décevante à l’immédiateté, sans points d’appui dans le passé, ni points de repère dans l’avenir. Et une des caractéristiques de ce nouveau rapport au temps nommé « présentisme », c’est la consommation à un rythme effréné du « nouveau », qui succède à du « nouveau » et qui précède un « nouveau », etc. Dans le cas du crowdfunding, on pourrait retrouver quelque chose de la phrase célèbre du « Guépard » de Lampedusa, adapté au cinéma par Visconti : « Si nous voulons que tout reste tel que c’est, il faut que tout change. » Cela veut dire qu’il y a bien une logique dominante, qui est celle de la prolongation du système bancaire capitaliste, mais qu’il y a aussi des aménagements et des contradictions, voire quelques espaces alternatifs possibles.

Le crowdfunding n’est-il pas un système darwinien alors qu’il se présente en apparence comme un système presque socialiste ?
Il peut avoir la forme monstrueuse d’une combinaison entre une forme coopérative de collecte de fonds (plus proche d’un pôle « socialiste ») et une compétition marchande qui a des aspects « darwiniens ». Mais il ne faut pas oublier aussi les quelques possibilités alternatives. Elles sont certes secondes dans le processus, mais pourquoi cracher sur quelques nouveaux grains de sable? Au nom d’un « Grand Soir » hypothétique qu’on attend vainement depuis deux siècles ?

Lire l’article : http://www.technikart.com/les-blogs/raphael-turcat-technikart/6422-le-crowdfunding-arnaque-ou-revolution

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À propos de l’auteur

“Après un master II entrepreneuriat, c’est en travaillant sur le financement des startups que j’ai découvert le crowdfunding. Passionné par la nouveauté et le web j’ai co-créé Good Morning Crowdfunding pour faire connaître ce marché."

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