Crowdfunding et musique classique [Épisode 5]

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Episode 5 : Pourquoi le système du financement participatif est-il intéressant pour la musique classique ?

 

Article 5 credit Francois Sechet

Des éléments en faveur de l’appropriation du système dans cet épisode.

 A cause de la crise, il est nécessaire pour toute entreprise de spectacle vivant de diversifier ses sources de financement et d’accroître sa capacité d’indépendance financière améliorant sa capacité d’autofinancement. Comme nous avons pu l’évoquer, dans le contexte de crise économique actuelle, le crowdfunding se pose comme une alternative au système financier (économie solidaire collaborative face à la frilosité d’octroi de prêts des banques aux porteurs de projets).

 

Créer un spectacle, monter une production dans le domaine du spectacle vivant revient toujours à prendre un risque et celui-ci doit être assumé par quelqu’un. Il semble que le crowdfunding en démultipliant l’initiative et la contribution individuelle soit à la jonction entre plusieurs systèmes de financement que sont le financement indirect (par une autre activité), la prise de risque par un autre (par un producteur, par exemple) et le risque au niveau zéro (commandes ou souscription en amont, salle remplie à l’avance contrairement à la billetterie le soir du concert qui est un paiement en aval, après montage de la production et des frais engagés). Le crowdfunding parait donc permettre de diversifier les fonds des entreprises de production en musique classique mais également de faire évoluer le modèle habituel de financement (subvention, mécénat). Cette créativité dans la recherche de nouveaux modes de financement des activités de production de concerts, nous la trouvons notamment aux Etats-Unis qui, par leur culture même, en incluant davantage les communautés de citoyens, invitent à la donation dans des fonds de dotation en plus de toute une panoplie d’autres modes de financement pour la culture[1].

 

Les nouveaux modèles économiques impulsés par la finance participative et l’économie collaborative explorent différentes pistes d’évolution du modèle économique actuel, c’est-à-dire le mode d’organisation et de fonctionnement de l’activité économique (production, distribution et consommation des richesses). Ces pistes visent à introduire de la durabilité, soutenabilité dans le système mais invitent également à sortir de la linéarité, la rigidité et la hiérarchisation des processus de conception, de productions traditionnels pour s’ouvrir aux idées et compétences d’acteurs extérieurs.

 

Dans le cas des plateformes de financement participatif et du marché de la production de concerts en musique classique, il s’agit d’intégrer la participation des internautes,  en tant que véritables acteurs économiques dans le processus de réflexion, création et production du bien musical par leurs suggestions et apports en matière de compétences. On peut analyser cette façon de procéder par rapport au marché comme une externalisation partielle du processus de création et de production outre le domaine de la communication sur le projet que peut parfois prendre également en charge le contributeur.

 

Au-delà d’être une source de financement, le crowdfunding nous invite à repenser le système économique de la production en musique classique en France, la façon de présenter le produit et la relation que celui-ci doit avoir avec son public. Le financement participatif tend vers une plus grande adéquation entre l’offre et la demande en supprimant parfois les intermédiaires décidant en amont de l’intérêt du projet pour le public. La production apparaît alors pensée avant tout dans une logique d’innovation, de rareté susceptible d’interpeller, susciter un désir de contribuer à la production du concert de la part du public et de lui donner l’impression qu’il peut vivre une expérience unique en participant directement au financement du projet et à sa mise en œuvre.

 

La présentation du projet sur la plateforme et la confrontation à un public (les internautes) et ses éventuelles remarques doit permettre aux porteurs de projets de tester le marché, d’identifier les besoins présents et/ou d’anticiper les désirs du futur public final (spectateurs) afin de créer le produit ad hoc susceptible de remporter un succès auprès du marché visé. Ainsi donc, le financement participatif permet à un directeur artistique, un artiste ou un producteur de tester la viabilité de son projet de production en le proposant directement au public : la campagne de crowdfunding agit alors comme une sorte de « crash-test » de la demande. Grâce à Internet, il est possible de tester le potentiel de l’artiste sans nécessairement dépenser beaucoup d’argent en consultant la popularité de son artiste en fonction du nombre d’interactions, de téléchargements, du nombre de fans et des données de fréquentation d’un site ou d’une page. Le crowdfunding s’inscrit donc dans une logique plus anglo-saxonne du marché de la musique où il doit y avoir rencontre et, in fine, adéquation (pour la viabilité du projet) du bien musical et du public (de l’offre et de la demande) sur le marché sans le truchement de la subvention.

 

En effet, soumettre une proposition artistique via une plateforme directement à l’appréciation du public n’est pas anodin. C’est donc, avec la question économique, également la question même de la réflexion sur le projet de production d’un concert en amont et la question de sa diffusion, de son marketing en aval qui se posent sous le prisme du crowdfunding. Cette logique à également un autre intérêt qui est celui de la mutualisation des coûts et de l’externalisation de la communication. En effet, dans le crowdfunding, une partie de communication repose sur l’internaute via le marketing viral, la promotion du projet qu’il va pouvoir faire. Le crowdfunding favorise ainsi la recommandation[2] en faisant du contributeur un « ambassadeur » du concert développant indirectement l’image et la notoriété des artistes (surtout si la proposition de concert est insolite ou innovante). Ce processus[3] n’est pas négligeable à l’ère du numérique, où l’influence entre les consommateurs a pris une grande importance. De plus, il correspond tout à fait aux motivations qui poussent un individu à venir écouter un concert de musique classique (cooptation, recommandation par le bouche-à-oreille des proches).

 

Le crowdfunding semble aussi être un moyen de s’informer sur les goûts des consommateurs. Pour une institution de production de concert ou un ensemble, cet outil se présente comme une façon novatrice d’avoir une proximité plus grande avec le futur consommateur, d’établir un contact direct avec le public potentiel et donc de bénéficier d’une certaine forme de notoriété avant même la mise sur le marché.

 

Ainsi, on peut formuler l’hypothèse qu’un projet financé par une campagne de crowdfunding a davantage de chances de rencontrer son public, l’internaute étant davantage impliqué dans le processus de création. Le crowdfunding semble en effet favoriser l’adhésion à une ligne artistique, un projet global et une certaine fidélisation au porteur de projet. Les personnes qui se rendent aux concerts de musique classique pourraient-ils devenir des futurs contributeurs sur des plateformes de crowdfunding ? Nous traiterons cette question dans notre prochain article.

 

Crédit photo : © François Sechet



[1] Frédéric Martel, « De la culture en Amérique », Paris, Gallimard, 2006

[2] via l’intégration des plateformes sociales comme Facebook ou Twitter à travers des boutons de partage pour faire la promotion des contenus créés.

[3] on parle de « marketing viral » au sens où un internaute va essayer de transmettre le « virus » de son goût pour un projet et « contaminer » un autre internaute.

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À propos de l’auteur

“Terminant un Master professionnel de Gestion et d’Administration de la musique à Paris IV – Sorbonne, je réalise un mémoire sur l’intérêt du financement participatif pour la musique classique. Ce mémoire s’inscrit dans une démarche plus globale : je suis convaincue qu’un rapprochement entre culture et économie en vue de créer une dynamique d’échange, poursuivre des intérêts communs, créer des façons alternatives, innovantes de produire et financer des événements profondément inscrits dans les besoins d’un territoire, pour des citoyens, constitue un avenir durable et pertinent pour la culture, pilier d’une société.”

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